Dans

Duet for two String Trios (in situ version) EC-CE / Claire Croizé / Goeyvaerts String Trio

Faire naître la grâce

À l’occasion du Antwerp Spring Festival, Claire Croizé, accompagnée du Goeyvaerts String Trio présente ‘Duet for two String Trios’ au Handelsbeurs à Anvers. Cette pièce originellement pensée pour la scène dans un rapport frontal scène/public et jouée dans une relative pénombre, se donne ici en format quadri-frontal dans la lumière chatoyante de la verrière de cette ancienne bourse du commerce.


Uitgelicht door Lodie Kardouss
Duet for two String Trios (in situ  version)
Lodie Kardouss Handelsbeurs Antwerpen, in het kader van het Antwerp Spring festival meer info download PDF
27 mei 2022

Après avoir entièrement brûlé à deux reprises depuis sa création au XVIe siècle, la Handelsbeurs (Bourse de commerce) d'Anvers a été reconstruite dans un style néo-gothique du XIXe avec des ferronneries au caractère floral, annonciateur de l'Art nouveau. Ayant perdu sa fonction de bourse en 1997, le bâtiment est resté vide pendant 20 ans. Après restauration complète en 2019, son intérieur majestueux est à nouveau ouvert aux visiteurs et accueille de nombreux événements.

La proposition artistique de Claire Croizé se découvre dans le titre ; ‘Duet for two String Trios’ est un duo dansé par Emmi Väisänen et Jason Respilieux sur deux trios à cordes (alto, violoncelle, violon) composés par le compositeur américain Charles Wuorinen et joués par le Goeyvaerts String Trio. Cet ensemble doit son nom au compositeur Belge Karel Goeyvaerts et a pour objectif d’interpréter uniquement le répertoire des XXe et XXIe siècles. Le premier trio a été composé en 1968 et le second en 2017 pour le Goeyvaerts String Trio lui-même.

La musique de Wuorinen est parfois complexe à l’écoute puisqu’elle est atonale et s’inspire du système dodécaphonique mis au point par Arnold Schönberg. Claire Croizé crée un alliage pur de danse et de musique ; son écriture chorégraphique donne éclat et lisibilité à la partition musicale.

Dès les premières minutes, la précision et la musicalité des danseurs offrent un cadre presque sacré dans lequel l’attention des spectateurs, assis tout autour, est généreusement conviée. Dans cet écrin presqu’à ciel ouvert, les sens éveillés, chaque froissement d’habit ou glissement de pied s’intègre à la partition sonore.

On devine une histoire sensible entre ces deux personnages qui tournoient autour et entre les musiciens.

Le mélange d’abstraction et de mouvements plus identifiables, créés à partir des vers de l’écrivain italien Cesare Pavese et de l’Autrichien Rainer Maria Rilke, fait naître la notion de récit et de dialogues à l'intérieur même de la forme dansée. C’est assez surprenant et intrigant d’avoir la sensation que la danse parle.

On devine une histoire sensible entre ces deux personnages qui tournoient autour et entre les musiciens. Est-ce une histoire sentimentale ? Ce n'est pas si important d’en avoir la certitude, ce qui importe, et là est un des défis de la danse, est qu’un créateur donne ce pouvoir à ce langage abstrait qu’est la danse de faire naître des images et des émotions concrètes chez les spectateurs.

La musicalité des unissons et contrepoints des danseurs se confirme au fur et à mesure de l’avancement de la pièce au travers des différentes dynamiques et énergies déployées. Plus que le mouvement, c’est la musicalité qui guide le drame, dans le sens étymologique du terme, c'est-à-dire qu’elle révèle l’action et nourrit l’imaginaire du spectateur.

Bien que la version quadri-frontale rende la matière dansée plus tourbillonnante et laisse moins d’empreinte dans notre rétine que la version scénique, l’arrangement spatial est raffiné dans sa vivacité et les dialogues corporels faits de questions/réponses aux durées variables rendent l'interaction des danseurs palpitante.

L’écriture de Croizé met vraiment en valeur les interprètes autant qu’ils mettent en valeur la composition chorégraphique. Il devient rare de pouvoir témoigner de cette alchimie entre créateur et interprètes, et cette distribution intelligente relève le défi d’une exigence physique et musicale; Là est la clé de la réussite du spectacle.

Si la version scénique jouée dans la pénombre évoque un espace horizontal dilaté et sans limite, cette version au Handelsbeurs nous connecte avec une nature plus spirituelle, de l’ordre d’une aspiration verticale vers la lumière de la verrière du lieu.

Ce mysticisme, présent dans la première composition musicale, se concrétise dans un nuage de fumée stagnant à mi-niveau au-dessus de l’espace de jeu, entre les deux pièces de musique.

Entre fumée opaque et lumière diaphane, tandis que les musiciens et le danseur viennent de quitter l’espace, la danseuse reste seule et se laisse découvrir dans sa réflexion intime. Un technicien change de place les sièges et partitions des musiciens. Une page semble se tourner, mais l’attention du spectateur reste intacte.

La performance est fine dans toute sa conception et une grande beauté s’en dégage.

Le danseur revient les cheveux détachés et vêtu d’un top argenté. Revenir pour mieux trouver son chemin, pour mieux être vu de l’autre et dialoguer avec alors qu’on ne voit plus clairement au travers de l’air. La danseuse revient à son tour les cheveux également détachés et vêtue d’un top doré. Les musiciens reviennent et la deuxième partie commence. L’espace s’ouvre jusque derrière une rangée de spectateurs. Une forme de consensus semble être trouvée entre tous les protagonistes, comme une éclaircie après une averse.

Le contact physique s’intensifie dans ce second chapitre, comme si toute la première partie avait cherché à exprimer leur interdépendance, pour une osmose corporelle plus franche à venir. Les portés et les points de contacts sont délicatement sensuels et offrent une nouvelle palette de couleurs et d’émotions.

La présence des performeurs est expressive, très connectée au temps de la performance et en même temps, elle reste vaporeuse et éthérée, créant un juste équilibre pour le public, entre guidance et imagination.

La performance est fine dans toute sa conception et une grande beauté s’en dégage. Dire d’une performance qu’elle est belle est parfois évoqué comme une parade au manque de profondeur d’un propos. Ici, bien au contraire, la beauté émane d’une recherche et d’un travail exigeant envers la partition pour que sa complexité, son énergie et sa retenue se lisent dans les corps et offrent une expérience poétique et spirituelle au spectateur.

Dans les temps difficiles que nous traversons, nous extraire un instant de nos vies quotidiennes pour y revenir avec plus d’esprit et d’incarnation, est une proposition plus que pertinente, car elle est source d’espérance.


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