Football x Fashion Ahilan Ratnamohan
Au club des Marolles
Le créateur pluridisciplinaire Ahilan Ratnamohan, en résidence au Kaaitheater depuis 2023, présente ‘Football x Fashion’, un défilé de footballeurs et footballeuses habillés de créations de designers bruxellois inspirées par l'univers du football, à l'Urban Park Jonction à Bruxelles. Loin du glamour exagéré de la mode et du football, ce défilé est plus proche de la réalité vécue au quotidien, ce qui est un atout. Cette initiative est à la fois divertissante et riche en valeurs solidaires, même si elle peut encore évoluer sur le plan artistique.

‘Football x Fashion’ s'inscrit dans la mission de cette organisation bruxelloise, qui, à l'occasion de la deuxième édition du festival Art+People, organisé par l'association éponyme, se consacre à rendre l'art et la culture accessibles à tous à travers des installations, performances et interventions artistiques dans l'espace public.
Inauguré en juin 2023, après un long processus participatif impliquant tous les acteurs du quartier des Marolles et 3 ans de travaux, le nouvel espace public des Brigittines, dédié à la rencontre, à la détente et au jeu, se transforme en catwalk à ciel ouvert. Ce projet urbain, baptisé ‘Urban Park Jonction’ et réalisé par le bureau d'architecture La Générale, a remporté le Brussels Architecture Prize en 2023. Lieu idéal pour l'événement ‘Football x Fashion’, il offre une vue sur le défilé depuis 3 perspectives : au cœur même de l'aire de jeux, depuis la dalle en béton qui domine le square, et à travers les fenêtres de la tour de logements sociaux située rue des Brigittines.
Un espace tridimensionnel qui met en valeur un spectacle embrassant 3 sujets : le sport, la mode et les pratiques durables ou non, selon ce qui est dénoncé ou défendu, comme l'a introduit Delphine Houba, échevine de la culture, du tourisme, des grands événements et du développement communautaire, venue soutenir l’événement.
‘Football x Fashion’ propose un monde du football loin des grandes stars comme Beckham, Ronaldo ou Mbappé, et des célébrités souvent là pour promouvoir des marques de luxe. Ici, pas de faste ni de paillettes, mais une initiative locale, avec des footballeurs et footballeuses bruxellois qui ont rejoint le mouvement. Les vêtements, conçus par cinq designers – Julie Menuge, Fernando Miró, Maria Cubillos, Kwalé Hakiza et Noureddine Zouagui – sont 100 % upcyclé, ancrant l’initiative dans une démarche écoresponsable. Le public est hétérogène, regroupant des habitants du quartier, des amateurs de mode, des habitués du spectacle vivant et des promeneurs attirés par la gratuité de l'événement. À l'image du quartier des Marolles, l'atmosphère est animée et authentique.
Cette approche nous reflète dans notre diversité, créant une atmosphère réaliste et accessible.
Le défilé met en avant des modèles d'origines, d'âges et de morphologies différents, aussi bien masculins que féminins. L'accent est mis sur la diversité des corps et des expériences humaines. Plutôt que de se concentrer uniquement sur les normes de beauté restrictives et uniformes de l'industrie de la mode, cette approche favorise une représentation plus inclusive. Elle nous reflète dans notre diversité, créant une atmosphère réaliste et accessible. La fête est rehaussée par la musique de Reda Senhaji, a.k.a. Cheb Runner, qui mélange des rythmes techno avec des grooves d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, donnant ainsi une dimension immersive à l'expérience.
Ces mannequins d'un soir traversent de grandes franges de rideaux conçues par les étudiants de La Cambre et fabriquées à partir de banderoles événementielles en plastique. Ils défilent d'abord sur la dalle de béton, puis descendent dans la plaine de jeux et marchent dans les couloirs délimités par des lignes blanches semblables à celles d'une piste d'athlétisme. À notre grande joie, Il règne une atmosphère qui rappelle davantage celle d'un stade de football, avec un public qui acclame et applaudit les protagonistes, que celle d'un défilé de mode guindé.
En matière de design, la sélection présente une gamme variée de pièces inspirées des maillots et des shorts de football, qui ont été transformés en une multitude de styles, des gladiateurs ornés d’épaulettes aux pom-pom girls en jupettes. Ces tenues se distinguent par l'utilisation de matériaux synthétiques, couramment employés dans l'industrie sportive. Les logos des clubs, des équipementiers et des sponsors sont souvent déconstruits ou mélangés à d'autres motifs. Certains modèles incorporent également des drapeaux nationaux ainsi que les couleurs et les motifs des équipes. Cette fusion de coupes, de logos, de matériaux techniques et de symboles visuels du football donne naissance à une esthétique hybride qui allie mode et sport.
Certaines créations m'ont particulièrement plu, comme le soutien-gorge réalisé à partir de gants de gardien de but, une utilisation pertinente de l'équipement sportif confère à la pièce un caractère à la fois original et fonctionnel ; la djellaba en patchwork réalisée à partir de maillots de football qui allie culture et sport, offrant une perspective unique sur la mode tout en honorant une tradition ; la salopette ornée de cartons rouge et jaune, qui évoque les éléments visuels des matchs, ou les résilles réalisées à partir de sacs de ballons ou de filets de gardien de but, qui transforment des textiles sportifs en étoffes transparentes et sensuelles.
Cependant, la mise en scène reste largement fidèle aux normes habituelles et ne transgresse pas vraiment les conventions établies du va-et-vient sur le podium. 45 minutes s'écoulent sur une série de silhouettes, presque toutes dévoilées depuis le début. Le spectacle s'essouffle quand soudain tous les mannequins se mettent à courir vers le terrain de football, jusque-là bâché sur ses 4 côtés. Ils entament alors une séquence dansée qui rappelle un Madison, en ce sens qu'elle consiste en une série de mouvements répétés en boucle, avec un changement de direction à chaque nouvel enchaînement. L'image un peu désuète que l'on a des gens qui dansent le Madison est transformée, car ici, chaque mouvement est emprunté à la façon dont un footballeur dribble, saute ou marque de la tête.
Ce projet artistique, mené par Art+People, réussit à raconter les histoires de communautés marginalisées
Ces mouvements sont en fait un nouveau style de danse urbaine créé par Ahilan Ratnamohan et son collègue artiste Feras Shaheen, qu'ils appellent Klapping. La séquence est intéressante en ce qu'elle fusionne les deux mondes en une chorégraphie, mais elle ne dure qu'un petit quart d'heure et s'arrête brutalement sans véritable point d'orgue.
Bien que ce projet se distingue par sa dimension collective et solidaire, la mise en scène globale n’a pas suscité chez moi des émotions particulièrement marquantes. C’est même quelque peu décevant, car l’énergie créatrice et l’engagement politique des concepteurs sont indéniablement présents, mais l'impression d'inachèvement artistique ne génère pas un fort impact émotionnel.
Ahilan Ratnamohan cherche à interroger les univers exclusifs du football et de la mode, en mettant en lumière les dynamiques de participation et d'exclusion au sein de ces deux domaines. Toutefois, il s'appuie sur des codes narratifs familiers et peine à aller au-delà de ces conventions pour offrir une véritable réflexion critique sur les problématiques sociales liées aux normes imposées par ces milieux.
Ce que je retiens principalement de ‘Football x Fashion’ c'est l'impact collaboratif et communautaire qu'il génère, notamment grâce à son emplacement stratégique. Ce projet artistique, mené par Art+People, réussit à raconter les histoires de communautés marginalisées, humanisant des initiatives qui, sans cela, passeraient peut-être inaperçues. En somme, même si ‘Football x Fashion’ présente selon moi des lacunes dramaturgiques et créatives, en particulier dans la partie ‘défilé de mode’, il constitue aussi une plateforme précieuse pour mettre en lumière des voix souvent négligées et souligne l'importance de la collaboration dans le processus artistique.
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