Toneel / Performance

La Gioia Pippo Delbono

La survie comme source de joie

La mélancolie est ce sentiment si particulier où joie et tristesse se confondent. La pièce de théâtre ‘La Gioia’ (la joie, en italien) du metteur en scène Pippo Delbono est profondément mélancolique tant le bonheur et la douleur se retrouvent comme des compagnons d'infortune. Pippo Delbono et ses acolytes de scène livrent une performance à la fois précise et puissante en hommage à l'un de ses acteurs de prédilection, Bobò, son fidèle partenaire de jeu décédé il y a quelques années. Ce voyage fantasmatique et émouvant dans l'esthétique de Federico Fellini et de Pina Bausch fait vibrer l’âme.

La Gioia
Lodie Kardouss Théâtre National, Brussel meer info download PDF
28 april 2023

Le théâtre de Delbono est cinématographique sans l’être. Bien que simples, voire épurées, les images scéniques qu'il compose sont extrêmement poétiques. Comme des flashbacks dans notre mémoire, elles apparaissent et disparaissent, mais cachent une multitude d'émotions. Ce qui diffère du cinéma est que chez Delbono, l'objet créé et le créateur sont vus simultanément sans artifice. La machinerie est humaine comme une forme d'arte povera. Tout semble fait au hasard des circonstances, mais est en réalité mis en œuvre avec précision. La magie naît de cette vulnérabilité exposée.

Le spectacle est imprégné de l'énergie de la vie du créateur et bien que l’apparence de Delbono révèle un homme grave aux prises avec des défis personnels complexes, ‘La Gioia’ est une histoire simple et essentielle. La vie, la mort et entre les deux, un cycle d'échecs et de victoires, de folies et de lucidités, d'hivers et de printemps qui se succèdent sans fin. "Il dolore passa, la tristezza passa, la paura passa, e la gioia... e la gioia… arriverà".

Le metteur en scène, qui est tour à tour acteur, narrateur, maître de cérémonie, conteur, prédicateur et chef de bande voyage à travers son spectacle en se déplaçant continuellement de la scène au parterre, texte et micro à la main, en posant la question : où trouver la joie ? Il évoque un homme qui a tout, mais qui ne peut atteindre le bonheur à cause de son avidité, de sa colère et de sa stupidité et qui ne ressent que de la douleur.

Où trouver la joie ? La joie ne se trouve pas, elle se cherche. La joie est un chemin, un voyage, une quête quand on est dans l'obscurité de l'existence. Ce que l'on trouve, c'est la possibilité de la joie. La possibilité de la joie dans des petites choses simples, des petits détails, des petits instants de vie.

Les scènes se succèdent, toutes aussi folles et émouvantes les unes que les autres. Elles sont interprétées par des acteurs atypiques aux allures loufoques, parmi lesquels Nelson Lariccia, ex-clochard, et Gianluca Ballarè, doux trisomique au regard lunaire. Des personnages fantasques dont les costumes déjantés sont à mi-chemin entre ceux de La Famille Addams et du Magicien d'Oz.

Une lutte perpétuelle entre le cœur et la tête du créateur

Soutenu par sa famille d’acteurs, Delbono entrevoit la lumière, remonte sur scène comme on remonte sur un ring avec autant de verve que de nostalgie. Le rythme de ses interventions scéniques crée une oscillation entre divertissement, malaise et gravité mélancolique au sein d'un spectacle minutieusement écrit.

Sous cet air joyeux de freak show se cache une lutte perpétuelle entre le cœur et la tête du créateur, qui se traduit par une mise en abyme de plus en plus douce-amère de ses textes. En ce sens, ces personnages pourraient être autant une projection de son monde intérieur que du monde tel qu'il était perçu par Vincenzo Cannavacciuolo, dit Bobò, à qui ce spectacle est dédié. 

Bobò était le compagnon de route sourd-muet et microcéphale que Delbono sorti de l'hôpital psychiatrique où il était interné. Il vécu et travailla avec lui jusqu'à la fin de sa vie. L'admiration de Delbono pour Bobò était sans limite, un pur "génie théâtral et cinématographique". Tous ses gestes et regards, même les plus petits, étaient précis avec ce qu'il fallait de subtilité et d’esprit. 

'Resta con me, resta con me... resta con me… Ora è una gioia senza Bobò... ora un silenzio... ora un silenzio è rimasto, un grande silenzio Bobò'.

Après de nombreuses scènes, tantôt innocentes, tantôt ironiques, mais toujours touchantes, la fin du spectacle est sublimée dans une apothéose de fleurs créées par l’artiste fleuriste Thierry Boutemy. Imprégnées de la mémoire de Bobò, elles apportent lumière, beauté, rédemption et amour, à l'image de ces personnages de cirque qui existent pour apaiser les douleurs du monde.

Comme la metteuse en scène espagnole Angelica Liddell, Pippo Delbono crée des pièces qui lui permettent d'exorciser ses névroses, mais dans un registre bien distinct de celui de Liddell. Le théâtre, le music-hall, le cirque avec ses clowns et ses danses sont les territoires où il trouve son salut. Si la joie brille par son absence tout au long du spectacle, elle resplendit dans le dernier quart d’heure et encore plus intensément sous les applaudissements sincères du public. Sans s'en rendre compte, ce n'est pas seulement l'œuvre que le public acclame, mais aussi le rituel de vie de Delbono.

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