Toneel / Performance

Stadium Mohamed El Khatib & Fred Hocké

Foot, frites et poésie

Je ne connais rien au football, mais je ressens toujours une émotion indescriptible lorsque, de chez moi à Anderlecht, j'entends les supporters soutenir leur équipe et chanter. Je n'y connais rien en football, mais voir les familles qui se pressent au stade un jour de match me donne souvent envie de faire un bout de chemin avec eux tant ils sont enthousiastes. Ce samedi après-midi, un peu comme si j'allais au stade, je suis allée au théâtre voir ‘Stadium’ de Mohamed El Khatib, et il me semble que j'en sais un peu plus maintenant, et peut-être pas seulement sur le football.

Uitgelicht door Lodie Kardouss
Stadium
Lodie Kardouss Théâtre National, Brussel meer info download PDF
30 september 2022

Pour ‘Stadium’, Mohamed El Khatib réunit sur scène une cinquantaine de vrais supporters du Racing Club de Lens. La scène ressemble à un mini stade, tout y est, gradins métalliques, drapeau, grands mâts d'éclairage, caravane friterie. Nous sommes aussi là, tous les milieux sociaux confondus installés dans les fauteuils du Théâtre National, les parents ont amené leurs enfants, on peut manger et boire pendant le spectacle, comme lors d’un match.

La performance documentaire commence par des extraits filmés de récits et d’interviews de supporters, d’arbitres, de personnalités politiques et religieuses, des vidéos de cafés les jours de match et de stades remplis. Pour les supporters du RC Lens, le football est au cœur de la vie, au centre du calendrier familial, c'est une religion, c'est l'âme du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, c'est un blason rouge et jaune, c'est du sang et de l'or.

Puis, entrent sur scène en chantant, des supporters locaux de l’union Saint-Gilloise reconnaissables grâce à leurs maillots bleu-jaune. À peine arrivés sur le plateau, Mohamed El Khatib surgit de l’autre bout de la scène et les coupe dans leur enthousiasme : 'Non, non, non, vous vous êtes trompés de cue d’entrée !' (signal d’entrée sur un plateau). Grâce à cette astuce, les mondes du théâtre et du football sont à présent personnifiés et se rencontrent sur scène.

Avec son petit carnet noir dans une main et son micro dans l'autre, il poursuit en direct les interviews esquissées dans les vidéos projetées précédemment. Le public, curieux et empathique, entre dans l'histoire et dans la genèse de la vie d’un supporter.

Les saynètes se succèdent et, si l'organisation structurelle des supporters est évoquée, le discours se déplace subtilement, et le foot devient presque un prétexte pour évoquer les liens familiaux, le patrimoine, l'héritage culturel, la mort, les convictions politiques, les classes sociales et les origines.

Là encore, le metteur en scène interrompt la séquence, alors que nous entrons dans l'intimité de ces personnages qui jouent leur propre rôle. Le statut de trublion qu’il endosse est une manière habile de conforter notre empathie pour ces supporters qui, à première vue, semblent si différents de nous.

Au fil des interventions et des confessions de chacun, nous découvrons l'histoire des tribunes de Bollaert, de la Marek, des ultras, des capos, des banderoles, et même de la violence dans les stades. Finalement pas besoin d’aimer ni de comprendre le foot, ils parlent de cérémonial et d'ambiance. C’est comme au théâtre.

On touche ici au cœur du travail d'El Khatib, en co-écrivant le spectacle avec des personnes qu'il suit depuis des années, puis en mêlant documentaire et spectacle vivant, personnes et personnages, fiction et réalité, pratiques amateurs et professionnelles, improvisation et écriture scénique, et en dévoilant ce qui est privé autant qu'en passant au crible ce qui est public, il nous fait questionner notre regard sur le théâtre et ouvre de nouvelles voies de réflexion.

En fonction des intervenants sur scène, nous passons du stade, au théâtre, à la réunion politique.

Si le théâtre d'El Khatib est aussi proche de la vie qu'il peut être, ‘Stadium’ nous offre un moment surréaliste. À la mi-temps du spectacle, la caravane friterie ‘Momo’ ouvre et naturellement, le public descend de ses gradins pour aller se restaurer sur scène. Public et supporters sont maintenant mélangés, la salle et l’espace de jeu deviennent cette agora populaire, cet espace de mixité démocratique qui appartient à tous.

La seconde mi-temps reprend avec une odeur de mayonnaise. On désire en savoir plus sur le foot pour peut-être aussi mieux comprendre ce que nous vivons en ce moment même au théâtre. Les majorettes arrivent, puis les mascottes, la fanfare, tous les codes de la représentation du foot sont utilisés. Si le sujet est exposé sans frontières, la mise en scène est toujours très sensible. On rit, mais on ne se moque pas, on apprend, mais on ne s’ennuie pas, on s'interroge et on ne se sent pas coupable.

Comment apprenons-nous les codes des lieux où nous allons ? Où nous mélangeons-nous ? Comment passe-t-on d'une classe sociale à une autre ? En fonction des intervenants sur scène, nous passons du stade, au théâtre, à la réunion politique.

Après tout, les spectateurs et les supporters sont tous deux assis sur ce qu'on appelle une tribune et, lorsque les 90 minutes sont écoulées, ils traversent les mêmes gradins pour partir. C'est l'événement qui fait le public, et au bout du compte, il n'y a peut-être pas de public de théâtre, pas plus qu'il n'y a de public de foot.

Le travail d'El Khatib s'étend sur plusieurs années et est toujours très bien documenté et délivré. C’est un travail d'agencement d'éléments de la réalité dans un cadre scénique. Si cette performance documentaire reflète implicitement l’extraction même du metteur en scène de son propre héritage socioculturel ; étudiant en hypokhâgne et en khâgne puis à Sciences Po, tout en étant l'un des cinq enfants d'une femme de ménage et d'un ouvrier, on peut aussi déceler en filigrane une déclaration d'amour d’un fils à son père, supporter de foot, au travers du leitmotiv des anecdotes père/fils racontées tout au long du spectacle.

C'est pertinent, touchant et aussi fédérateur qu'une bonne frite à la mi-temps.

Genoten van deze recensie?

Vind je het belangrijk dat zulke verdiepende beschouwingen over de podiumkunsten blijven verschijnen, vrij toegankelijk voor iedereen? Steun pzazz als lezer vanaf 1 € per maand.

Wij doen het zonder subsidies. Met jouw bijdrage kunnen we nog meer voorstellingen aandacht geven en onze auteurs, eindredacteurs en coördinator blijven vergoeden. Pzazz is er voor jou, maar ook een beetje van jou.

Steun pzazz

Uw steun is welkom
Pzazz.theater vraagt veel tijd en inzet van een grote groep mensen. Dat kost geld. Talrijke organisaties steunen ons, maar zonder jouw bijdrage als abonnee komen we niet rond als we medewerkers eerlijk willen betalen. Uw steun is van vitaal belang en betekent dat we onafhankelijk recensies over de podiumkunsten kunnen blijven schrijven. Alvast bedankt!

Abonneren Login